Ambassades, gouvernement et l’ONU: la chorale des « nous condamnons »

Alors que les cadavres s’empilent à Wharf Jérémie et que l’odeur de la désolation parfume les rues de Cité Soleil, une autre mélodie s’élève, bien plus familière. Les ambassades américaine, française, canadienne, et l’ONU, orchestrées par le gouvernement haïtien, entonnent leur grand classique: Nous condamnons fermement. On dirait presque un enregistrement à boucle infinie. Pourtant, derrière cette symphonie de mots soigneusement calibrés, la réalité est bien plus cruelle : rien ne change, sauf peut-être l’intensité du désespoir des Haïtiens.


L’inaction à prix d’or

Le week-end dernier, plus de 180 personnes ont été massacrées à Wharf Jérémie par le chef de gang Micanor, un événement qui révèle avec une clarté tragique l’inaction du gouvernement face à ces atrocités. Tandis que les responsables accumulent des budgets colossaux destinés au renseignement, ces fonds, détournés à des fins personnelles, laissent la Police Nationale et les Forces Armées démunies, et les Haïtiens abandonnés à leur sort. Trois jours plus tard, aucune opération de sécurité n’a été lancée. Pourtant, la Primature, le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) et les ministères concernés disposent de 180 millions de gourdes par mois pour le renseignement. Mais dans un élan admirable de cohérence bureaucratique, ces fonds sont, bien entendu, redirigés vers des comptes privés. Pendant ce temps, la Police Nationale d’Haïti (PNH) et les Forces Armées d’Haïti (FAD’H) se contentent de miettes.

la chorale internationale

Dès que l’ampleur du massacre a été connue, la chorale internationale a pris le relais. Voici les morceaux choisis :

  • Les États-Unis : « Nous condamnons fermement… », accompagné de sincères condéléances et d’une promesse de soutien indéfectible au peuple haïtien.
  • La France : « Nous condamnons avec fermeté… », agrémenté d’un rappel de leur éternelle amitié envers Haïti.
  • Le Canada : « Nous condamnons fermement… », avec un soupçon d’urgence pour renforcer la sécurité et éviter de nouveaux massacres.
  • L’ONU : « Nous sommes choqués et consternés… », accompagné d’un appel à la communauté internationale pour plus de fonds et de logistique.

Le gouvernement haïtien : figurants de leur propre tragédie

Le chef du CSPN dénonce, s’indigne et promet des actions concrètes. Mais dans les faits, il ressemble plus à un militant de la société civile qu’à un décideur. Le Premier ministre, lui, se contente d’annoncer que la « ligne rouge » a été franchie. Cette ligne rouge, apparemment, est aussi élastique qu’un élastique de sous-vêtement bon marché.

Des tweets pour l’histoire

Les tweets affluent à une vitesse vertigineuse, comme des étoiles filantes lors d’une nuit d’été, illuminant brièvement le désespoir avant de disparaître dans le néant de l’inaction. Les diplomates, ministres et autres dignitaires s’évertuent à afficher leur indignation en 280 caractères. Voici quelques exemples emblématiques :

@USAmbHaiti : « Profondément attristés par les événements à Wharf Jérémie. Nous restons solidaires avec le peuple haïtien. »

@FranceDiplo : « La France condamne avec fermeté ce massacre odieux. Nous appelons à une mobilisation pour ramener la paix en Haïti. »

@CanadaPE : « Inadmissible. Nous travaillerons pour renforcer la sécurité et éviter de nouvelles tragédies. »

Ces posts, agrémentés de photos sépia et de regards graves, semblent davantage destinés à booster leur engagement sur les réseaux sociaux qu’à changer quoi que ce soit.

Mais où est l’urgence ?

Pendant ce temps, les proches des victimes de Wharf Jérémie, terrifiés, fuient ou se terrent dans des maisons insalubres. Le chef de gang Micanor, lui, renforce son pouvoir sans rencontrer la moindre résistance. La MMSS, pourtant annoncée en grande pompe, semble aussi réactive qu’un pistolet à eau.

Un cynisme à couper le souffle

Pourquoi tant d’inaction? La réponse pourrait se trouver dans une sinistre comparaison. Haïti n’est pas l’Ukraine. Ici, pas de pipelines stratégiques ni de gaz naturel convoité par les grandes puissances ou peut-être la cause de leur sunnisme. Pas de frontières avec des pays influents ou de risques immédiats pour l’équilibre géopolitique global ou… nous ne savons pas, juste une nation isolée, endettée, et déchirée, dont la souffrance semble être tolérée comme une banalité quotidienne. Le traitement réservé à Haïti reflète une hiérarchie implicite dans les priorités internationales : certaines vies comptent, d’autres, beaucoup moins. Pas ou des ressources stratégiques à protéger, pas d’alliances militaires à renforcer, juste un peuple que le monde semble déterminé à regarder s’éteindre à petit feu. Les efforts internationaux sont une succession de déclarations vides et de promesses non tenues. Haïti n’est qu’un hashtag pour les puissances étrangères.

Que reste-t-il ?

À ce stade, Haïti pourrait envisager d’embaucher un scénariste hollywoodien pour transformer ses tragédies en blockbuster. Peut-être que Netflix, HBO ou même Disney s’y intéresseraient, offrant au passage un Oscar aux responsables internationaux pour leur meilleure performance dans un rôle de soutien hypocrite. Avec un peu de chance, l’intérêt des puissants du monde serait enfin piqué.

En attendant, les Haïtiens continuent de survivre, de s’indigner, de pleurer et d’espérer. Mais combien de temps encore avant que l’espoir ne s’éteigne également?

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