La région du Catatumbo, située dans le nord-est de la Colombie, vit une des pires crises de son histoire récente. Depuis le 18 janvier 2025, des affrontements sanglants entre la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN), les dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et la population civile ont fait plus de 80 morts et entraîné le déplacement de 11 000 personnes.
« Nous estimons que plus de 80 personnes ont perdu la vie », a déclaré William Villamizar, gouverneur du département de Norte de Santander, qui englobe la région du Catatumbo. En plus des décès, une vingtaine de personnes ont été blessées, et de nombreux habitants ont fui les zones de conflit.
Ces affrontements ont éclaté pour le contrôle de ce territoire stratégique, un des principaux centres de production de cocaïne en Colombie. Le Bureau du médiateur colombien a qualifié la situation d’« une des crises humanitaires les plus graves que le Catatumbo ait jamais connues ». Iris Marin, cheffe du Bureau du médiateur, a ajouté : « En seulement quatre jours, 11 000 personnes ont été déplacées, et ce chiffre pourrait encore augmenter. »
L’attaque de l’ELN s’est distinguée par sa brutalité. Le général Luis Emilio Cardozo, commandant de l’armée colombienne, a dénoncé les exactions commises : « Ils ont sorti les gens de chez eux et les ont tués de manière misérable, en violant les droits humains. » Cette attaque marque la fin d’une trêve avec les dissidents des FARC et met en évidence une intensification des conflits entre ces deux groupes.
Le Catatumbo, frontalière du Venezuela, est depuis longtemps au centre des conflits armés en Colombie. Cette région montagneuse abrite plus de 50 000 hectares de cultures de coca, carburant du narcotrafic et source de financement des groupes armés. Depuis six décennies, cette guerre interne a fait plus de 9,5 millions de victimes, un chiffre qui reflète l’ampleur des souffrances humaines.
Le Catatumbo est également un territoire stratégique pour les routes de contrebande et de trafic vers le Venezuela, ajoutant à sa valeur pour les différents acteurs armés.
Face à cette escalade de violence, l’armée colombienne a réagi avec vigueur. Plus de 5 000 soldats ont été déployés dans les montagnes du Catatumbo pour « stabiliser le territoire ». Le ministre de la Défense, Ivan Velasquez, s’est rendu dans la ville frontalière de Cucuta pour superviser les opérations.
« C’est notre devoir, en tant qu’armée nationale, de protéger la population et de restaurer l’ordre », a affirmé le général Cardozo. Cependant, les défis logistiques et la complexité du terrain rendent la tâche épineuse. Les habitants décrivent une situation critique où la peur et l’incertitude règnent.
L’offensive de l’ELN met en lumière les fragilités du processus de paix colombien. Depuis son élection en 2022, le président Gustavo Petro, premier chef d’État de gauche dans le pays, avait fait de la réconciliation nationale une priorité. Les pourparlers avec l’ELN, entamés en 2022, représentaient un pas important vers une paix durable.
Cependant, cette attaque a conduit à la suspension des négociations. Gustavo Petro a accusé l’ELN de commettre des « crimes de guerre », soulignant que ces actes compromettent toute avancée dans le processus de paix.
Depuis l’accord de 2016 qui avait abouti au désarmement des FARC, des groupes dissidents ont émergé, attirant de nouvelles recrues et réactivant les conflits dans certaines régions du pays. Le Catatumbo est un exemple criant de cette réalité où les alliances entre groupes armés se transforment rapidement en luttes violentes.
Les conséquences humanitaires des affrontements sont dévastatrices. À Tibú, ville qui accueille la majorité des déplacés, les centres d’accueil sont saturés. L’Agence France-Presse (AFP), présente sur place, a recueilli des témoignages poignants d’habitants ayant fui leur foyer.
Carmelina Perez, 62 ans, qui s’est réfugiée avec ses petits-enfants, exprime son angoisse : « Nous avons très peur pour les enfants. Nous craignons d’être pris au piège au milieu des combats. » Les villages les plus touchés sont parfois accessibles uniquement par voie héliportée, compliquant les efforts de secours.
Malgré l’aide d’urgence apportée par l’armée et les organisations humanitaires, la situation reste critique. Les besoins en vivres, en médicaments et en abris dépassent largement les ressources disponibles.
La gravité de la crise a attiré l’attention de la communauté internationale. Le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira prochainement pour discuter de la situation en Colombie et évaluer les « crimes de guerre » commis par l’ELN. Luis Gilberto Murillo, ministre colombien des Affaires étrangères, présentera un rapport détaillé sur ces violations des droits humains.
Des organisations humanitaires, telles que la Croix-Rouge et Human Rights Watch, ont appelé à une intervention rapide pour protéger les civils et fournir une assistance aux déplacés. À l’échelle locale, les maires des municipalités touchées exhortent le gouvernement à renforcer les initiatives de paix et à allouer davantage de ressources pour répondre à cette crise.
Le Catatumbo demeure un symbole des défis auxquels la Colombie fait face : les guerres de territoire, le narcotrafic et les tensions politiques. La stabilisation de cette région nécessite une approche holistique qui combine répression militaire, dialogue politique et développement économique.
Pour le gouvernement de Gustavo Petro, cette crise représente un test majeur. Réussir à rétablir la paix dans cette région pourrait redonner espoir à des millions de Colombiens aspirant à une vie sans violence.