Haïti : offensive policière et vigilantisme face à l’expansion des gangs armés

Ces dernières semaines, Haïti est le théâtre d’une escalade de violence sans précédent. Alors que les gangs armés tentent de s’emparer de nouveaux territoires, la population haïtienne, exaspérée par l’inaction des autorités et l’effondrement du système judiciaire, prend les armes. La Police Nationale d’Haïti (PNH) intensifie ses opérations, notamment dans les bastions criminels de la capitale, mais les efforts pour restaurer la sécurité peinent à obtenir des résultats durables. Cette situation explosive met en lumière un pays au bord du chaos, où le vigilantisme et la justice expéditive deviennent des alternatives face à la montée en puissance des gangs.

Une offensive policière

Ce dimanche 24 novembre 2024, la PNH a mené une nouvelle opération d’envergure dans le quartier de Bas-Delmas, un bastion contrôlé par les gangs du « G9 an Fanmi » et leur chef notoire, Jimmy Chérisier, alias « Barbecue ». Cette intervention fait suite à une série d’attaques et de répliques violentes qui ont secoué Port-au-Prince. Les forces de l’ordre ont éliminé plusieurs individus armés, saisi une pelle excavatrice volée, et incendié un véhicule utilisé par les criminels. Toutefois, malgré ces actions, la lutte contre les gangs reste incertaine. L’absence d’une occupation policière ou militaire durable dans les zones reprises permet souvent aux criminels de se réinstaller rapidement.

« Pour garantir l’efficacité des opérations, la police ne doit pas se contenter de démanteler les réseaux criminels, mais doit occuper les territoires libérés, » expliquent des experts en sécurité. Sans cette présence, les efforts risquent d’être vains et de compromettre la stabilité du pays.

Un bilan sanglant : plus de 100 morts en quelques jours

Les chiffres sont éloquents : en seulement trois jours, plus de 100 membres présumés de gangs ont été tués, selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). Cette recrudescence de la violence s’inscrit dans un contexte où les forces de l’ordre, souvent dépassées, reçoivent le soutien de civils armés, las d’attendre une action gouvernementale efficace. Ainsi, des scènes de violence extrême se sont multipliées, notamment à Pétion-Ville, un quartier huppé de la capitale, où des habitants, armés de machettes, ont uni leurs forces à celles de la police pour repousser une attaque de gangs.

« Dans plusieurs cas, les policiers ont abattu les criminels, et la population a brûlé les cadavres », rapporte Pierre Espérance, directeur du RNDDH. Cette situation témoigne de la frustration généralisée et de la volonté des civils de se faire justice eux-mêmes face à un État défaillant.

Le phénomène du vigilantisme en pleine croissance

Face à l’anarchie, un mouvement de vigilantisme, connu sous le nom de « Bwa Kale », prend de l’ampleur. Ce phénomène, bien que représentant une part limitée de la violence totale, inquiète les observateurs. Soutenus ou tolérés par certaines forces de l’ordre, ces groupes d’autodéfense armés de machettes, de pierres et de feu, n’hésitent pas à infliger des punitions brutales aux présumés criminels. Selon un rapport du Service des Droits de l’Homme des Nations Unies, ces actes de justice expéditive incluent des mutilations, des décapitations et des exécutions publiques, témoignant de la profonde défaillance du système judiciaire haïtien.

Une situation de crise humanitaire

La montée en puissance des gangs a entraîné des déplacements massifs de population. Depuis que l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) a commencé à recenser les mouvements internes, plus de 700 000 Haïtiens ont été contraints de quitter leurs foyers, fuyant la violence. Rien qu’à Port-au-Prince, 40 965 personnes ont été déplacées ces dernières semaines, alors que les gangs s’emparent de quartiers entiers, semant la terreur et le chaos. Ces déplacements forcent des milliers de familles à vivre dans des conditions précaires, aggravant la crise humanitaire qui frappe le pays.

Les limites d’une intervention internationale

En dépit de la présence d’une force multinationale déployée pour soutenir la PNH, les résultats se font attendre. De nombreux Haïtiens remettent en question l’efficacité de la Mission de Sécurité Spéciale (MSS), accusée de ne pas répondre à la gravité de la situation. La MSS, critiquée pour l’absence de résultats tangibles après six mois de présence en Haïti, s’est engagée à ne pas relâcher ses efforts tant que les criminels ne seront pas neutralisés. Cependant, le doute persiste quant à la capacité de cette force internationale à faire face à des gangs bien organisés, armés et déterminés.

Le rôle controversé de Jimmy Chérisier, alias « Barbecue »

Au cœur de cette crise se trouve Jimmy Chérisier, ancien officier de la police haïtienne, devenu l’un des leaders de gangs les plus influents du pays. Sa capacité à échapper à plusieurs tentatives de capture, comme lors de l’opération musclée de ce dimanche à Bas-Delmas, illustre l’ampleur du défi sécuritaire. Pour certains, il incarne le symbole d’une révolte contre les élites corrompues et la domination étrangère ; pour d’autres, il est un criminel impitoyable, prêt à plonger le pays dans le chaos pour asseoir son pouvoir.

Un système judiciaire en état de décomposition

La montée de la violence et du vigilantisme révèle surtout la profonde crise du système judiciaire haïtien. Faible et gangrené par la corruption, ce dernier est souvent incapable de juger et de condamner les criminels. Selon Pierre Espérance, des policiers déterminés à faire leur travail se retrouvent frustrés, car lorsqu’ils arrêtent des membres de gangs, ces derniers sont souvent relâchés faute de procédures judiciaires adéquates. « L’État s’est effondré », déplore-t-il, pointant du doigt une gouvernance défaillante qui laisse la population livrée à elle-même.

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