Les forces kenyanes veulent nous montrer qu’elles existent

Depuis leur déploiement en juin dernier, les forces kenyanes en Haïti semblent exceller dans un exercice singulier : l’effet d’annonce. Chaque sortie de ces troupes est accompagnée d’une fanfare médiatique soigneusement orchestrée. La dernière en date : l’installation d’une troisième base opérationnelle avancée (FOB) au bas de Delmas, dans l’ancien bâtiment de l’Inspection générale de la Police nationale d’Haïti (IGPNH). Mais au-delà des communiqués flamboyants, une question persiste : ces bases sont-elles réellement efficaces ou relèvent-elles davantage d’une vitrine destinée à justifier une présence encore largement symbolique ?

L’art de faire du neuf avec du vieux

Le bâtiment de l’IGPNH, naguère abandonné et en ruines après des années d’attaques de gangs, a fait l’objet d’une restauration, sous les projecteurs bien sûr. Le fait que des contracteurs aient dû accompagner la Mission Multinationale de Soutien (MMS) et la Police Nationale d’Haïti (PNH) pour rendre les lieux fonctionnels souligne un paradoxe gênant : ces bases ne sont que des recyclages d’infrastructures existantes.

On annonce que cette base améliorera les temps de réaction face aux gangs dans des zones stratégiques telles que le port national et le littoral vulnérable. Pourtant, ces mêmes zones continuent de servir de corridors pour le trafic d’armes et de drogues, enrichissant les gangs tout en plongeant la population dans un cycle de terreur. Alors, cette base est-elle un vrai tournant ou simplement un geste symbolique ?

Des sorties rares mais très médiatisées

Ce qui frappe, c’est la rareté des interventions des forces kenyanes sur le terrain. Lorsqu’elles se manifestent, c’est toujours avec une mise en scène soigneusement calibrée : des conférences de presse, des chiffres impressionnants (13 armes à feu, 3 drones, et 7 voitures saisis dans les dernières opérations) et une rhétorique qui vante leur détermination inébranlable.

Mais ces annonces contrastent cruellement avec la réalité quotidienne des Haïtiens. Plus de 4 500 morts, 2 000 blessés, et 41 000 déplacés enregistrés en 2024 selon Save the Children et l’OIM. Pendant que les forces se congratulent pour avoir démoli quelques installations dans les fiefs des gangs, les familles haïtiennes fuient leurs quartiers, abandonnant tout derrière elles.

Des victimes réduites au silence médiatique

La population, elle, réclame moins de show et davantage d’actes concrets. À quoi sert une base flambant neuve si les habitants de Delmas, Solino ou Cité Soleil continuent de vivre dans la peur ? Les déplacés, entassés dans des camps insalubres, dénoncent l’indifférence d’un gouvernement qui semble plus préoccupé par ses partenariats internationaux que par la sécurité de ses citoyens. « Nous ne voulons pas des plats chauds », scandent-ils. « Nous exigeons le rétablissement de la sécurité pour pouvoir rentrer chez nous. »

Un écran de fumée stratégique

En fin de compte, le déploiement des forces kenyanes et des bases opérationnelles avancées ressemble davantage à une opération de communication qu’à une réelle avancée sécuritaire. Ces bases, bien que stratégiquement situées, donnent l’impression d’être des trophées politiques pour les donateurs internationaux et le gouvernement haïtien, plutôt que des outils pour résoudre le problème des gangs.

ironie tragique

Pendant que l’on multiplie les communiqués de victoire, les Haïtiens meurent ou fuient. Et les forces kenyanes, avec leurs rares sorties spectaculaires, nous rappellent à quel point elles peinent à avoir un impact significatif sur le terrain. Oui, elles existent, mais leur présence reste, pour l’instant, un spectacle sans réel dénouement.

Dans cette guerre contre les gangs, ce n’est pas une question de bases ou de discours, mais de courage politique et d’actions concrètes. Et tant que ces promesses resteront de simples effets d’annonce, la population continuera de payer le prix de cette tragédie silencieuse.

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