Les récentes violences dans la région du Catatumbo, située dans le Nord-Est de la Colombie, ont ravivé les sombres souvenirs des pires heures du conflit armé colombien. Plus de 80 personnes ont perdu la vie dans des affrontements impliquant la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN) et des dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), selon un bilan communiqué par les autorités locales.
Les scènes de violence rapportées depuis jeudi 18 janvier 2025 sont glaçantes. Les habitants de plusieurs municipalités, dont Convención, Ábrego, Teorama, El Tarra, Hacarí et Tibú, ont subi des attaques meurtrières perpétrées par l’ELN. Selon le général Luis Emilio Cardozo, commandant de l’armée colombienne, les guerrilleros « ont sorti les gens de chez eux et les ont tués de manière misérable, violant les droits humains fondamentaux ».
Ces exactions s’accompagnent d’un déplacement massif de populations. Près de 2 500 personnes ont été forcées de quitter leurs foyers pour chercher refuge à Tibú, selon le maire de la ville, Richar Claro. Des opérations d’évacuation héliportée ont été organisées pour secourir les populations les plus touchées, et de nombreux déplacés continuent d’arriver dans les centres d’accueil installés en urgence.
Le Catatumbo, région montagneuse frontalière du Venezuela, est depuis longtemps le théâtre de tensions entre groupes armés et forces gouvernementales. Cette zone est stratégique pour plusieurs raisons : elle abrite plus de 50 000 hectares de cultures de coca, moteur économique des groupes armés, et constitue un point de passage crucial pour le trafic de drogue.
Pourtant, ces conflits ne se limitent pas au contrôle des ressources. La récente flambée de violences reflète également une rupture entre l’ELN et les dissidents des FARC, qui étaient jusque-là engagés dans des négociations parallèles avec le gouvernement colombien. Ce clivage a entraîné une escalade des hostilités, plongeant la population civile dans une crise humanitaire majeure.
L’attaque de l’ELN a porté un coup dur au processus de paix engagé par le président Gustavo Petro, le premier chef d’État de gauche de l’histoire récente de la Colombie. Depuis son élection en 2022, M. Petro avait fait de la recherche d’une solution négociée à six décennies de conflit armé une priorité de son mandat.
Cependant, les pourparlers avec l’ELN, initiés à la fin de 2022, ont été suspendus à la suite de cette attaque. Le président a accusé la guérilla de commettre des « crimes de guerre » et de compromettre tout espoir de paix durable. « La stabilité du territoire est essentielle, mais elle n’est possible que si les acteurs armés respectent les droits humains et cessent leurs violences », a-t-il déclaré lors d’une allocution publique.
L’ELN, fondé en 1964 sous l’influence de la révolution cubaine, est aujourd’hui la principale guérilla active en Colombie. Ses actions sont souvent motivées par une rhétorique marxiste-léniniste, bien que ses activités se concentrent largement sur le contrôle des ressources naturelles et des routes du narcotrafic.
De l’autre côté, les dissidents des FARC regroupent les anciens membres de cette guérilla qui ont rejeté l’accord de paix historique de 2016. Ces factions armées, plus fragmentées mais tout aussi violentes, cherchent à reprendre pied dans des territoires stratégiques comme le Catatumbo.
Face à la gravité de la situation, l’armée colombienne a déployé 300 soldats supplémentaires dans les montagnes du Catatumbo. Le général Cardozo, dans un discours adressé à ses troupes, a souligné l’importance de « stabiliser le territoire » et de « rétablir l’ordre face aux atrocités ».
Cependant, cette réponse militaire soulève des questions. L’historique du conflit colombien montre que les opérations armées peuvent parfois exacerber les tensions et accroitre la souffrance des populations civiles. Les déplacés, les pertes humaines et la destruction des infrastructures risquent d’étendre les conséquences déjà dévastatrices de cette crise.
La communauté internationale suit de près l’évolution de la situation. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit se réunir prochainement pour examiner un rapport sur les « crimes de guerre » présumés commis par l’ELN. Selon le ministre colombien des Affaires étrangères, Luis Gilberto Murillo, cette session vise à mettre en lumière les violations des droits humains dans la région et à mobiliser un soutien international.
De leur côté, plusieurs organisations humanitaires ont appelé à une intervention pour protéger les civils et fournir une assistance aux milliers de personnes déplacées. La situation humanitaire dans le Catatumbo risque de se détériorer davantage si des mesures concrètes ne sont pas prises rapidement.
La Colombie est à un carrefour décisif. Les affrontements entre l’ELN et les dissidents des FARC ne sont pas seulement une tragédie humaine : ils représentent également un test pour le gouvernement de Gustavo Petro et son engagement envers la paix. Si la violence continue de s’intensifier, la confiance dans les processus de paix pourrait être irrémédiablement érodée.
Pour les populations du Catatumbo, les espoirs d’une vie meilleure restent fragiles. Entre les exactions des groupes armés, les opérations militaires et le manque de solutions durables, ces communautés continuent de payer un lourd tribut dans un conflit qui semble sans fin.