Les relations bilatérales entre Haïti et la Colombie prennent une nouvelle ampleur alors que les deux pays se réunissent à La Guajira, une région stratégique du nord de la Colombie, pour un Conseil des ministres binational le 21 décembre 2024. Cet événement survient dans un contexte marqué par des crises humanitaires majeures en Haïti et une volonté de dynamiser les partenariats régionaux pour faire face à des défis multidimensionnels.
En l’espace d’une semaine, Haïti a connu deux massacres sanglants à Wharf Jérémie et à Petite Rivière de l’Artibonite, qui ont coûté la vie à plus de 300 personnes. Ces événements tragiques viennent s’ajouter à une crise humanitaire déjà alarmante, avec plus de 700 000 déplacés internes, selon les Nations Unies. La situation, exacerbée par la prolifération des gangs et l’insécurité chronique, met en évidence l’urgence d’une assistance internationale et de nouvelles coopérations pour stabiliser le pays.
Les déclarations du président du Conseil présidentiel de transition (CPT), Leslie Voltaire, illustrent cette posture proactive : « Haïti a des intérêts. Haïti a faim. Haïti n’a pas de sécurité. Toutes les aides sont bienvenues. » Cette affirmation met en lumière la stratégie actuelle peut-être du pays visant à multiplier les partenariats, qu’ils soient économiques, politiques ou humanitaires.
Objectifs du Conseil des ministres binational
La réunion à La Guajira marque un moment rare dans les relations entre Haïti et la Colombie. Organisée sous l’impulsion de Leslie Voltaire et du président colombien Gustavo Petro, cette initiative vise à renforcer la coopération bilatérale autour de plusieurs axes stratégiques :
- Sécurité publique : Aborder la question du trafic d’armes et de drogues, un problème commun aux deux pays, avec un accent particulier sur la péninsule de La Guajira, identifiée comme un point névralgique.
- Assistance humanitaire : Répondre aux besoins des déplacés internes et des rapatriés, en mobilisant des ressources et des savoir-faire colombiens.
- Commerce et économie : Favoriser les échanges commerciaux pour diversifier les fournisseurs d’Haïti et réduire sa dépendance. La Colombie pourrait notamment fournir des produits alimentaires et industriels essentiels comme le maïs, la farine et le fer.
- Formation et éducation : Partager l’expertise colombienne en matière de formation professionnelle, y compris la formation de pilotes et la modernisation du système éducatif haïtien.
- Surveillance maritime et justice : Renforcer les capacités de surveillance maritime pour lutter contre le trafic illicite et établir des mécanismes judiciaires plus robustes.
Les liens historiques entre les deux pays
En 1816, Haïti, sous la direction du président Alexandre Pétion, a accueilli Simón Bolívar à Jacmel. Bolívar a reçu un soutien logistique crucial, incluant des armes, des navires, et 300 volontaires haïtiens. Ce soutien est documenté dans les correspondances de Bolívar et mentionné dans plusieurs ouvrages historiques, notamment Simón Bolívar: A Life de John Lynch. Simón Bolívar, en reconnaissance du soutien haïtien, s’était engagé à abolir l’esclavage dans les territoires qu’il libérerait, une promesse qu’il a tenue en partie dans certaines régions libérées. Cet aspect est discuté dans Bolívar and the War of Independence par David Bushnell. Le soutien d’Haïti à Bolívar est souvent cité comme l’un des exemples les plus frappants de solidarité internationale dans les débuts de la république. La reconnaissance de cette contribution figure dans les archives des discours de Bolívar, dont certains sont compilés dans Selected Writings of Bolívar.
Colombie aujourd’hui
La Colombie, troisième économie d’Amérique du Sud avec un PIB estimé à 363,6 milliards de dollars en 2023, a connu une croissance économique modérée ces dernières années. Après une reprise vigoureuse post-COVID-19, la croissance s’est ralentie, avec une augmentation de 0,6 % en 2023. Les prévisions indiquent une légère amélioration en 2024 (+1,1 %) et une croissance plus soutenue en 2025 (+2,5 %). https://www.oecd.org/fr/publications/etudes-economiques-de-l-ocde-colombie-2024-version-abregee_c88ca51c-fr.html?utm
L’inflation demeure un défi majeur, atteignant 6,1 % en août 2024, ce qui, combiné à une politique monétaire stricte avec un taux directeur à 10,75 %, limite la consommation des ménages, représentant 74 % du PIB entre 2021 et 2023. https://www.coface.com/fr/actualites-economie-conseils-d-experts/tableau-de-bord-des-risques-economiques/fiches-risques-pays/colombie?utm
Sur le plan sécuritaire, la situation s’est améliorée par rapport à la décennie précédente, grâce à un contrôle accru du territoire par les forces armées et la police (https://diplomatie.belgium.be/fr/pays/colombie/voyager-en-colombie-conseils-aux-voyageurs/securite-generale-en-colombie?utm ). Cependant, des défis subsistent, notamment la présence de groupes armés illégaux tels que l’ELN et des bandes criminelles impliquées dans des activités comme les enlèvements et les extorsions(https://voyage.gc.ca/destinations/colombie?utm ). En 2022, 180 victimes ont été recensées, soit une augmentation de 32 % par rapport à 2021, et 58 leaders ont été tués au cours des quatre premiers mois de l’année (https://www.ecoi.net/en/document/2097620.html?utm ).
La Colombie consacre une part significative de son budget à la défense, avec 3,4 % du PIB dédié aux dépenses militaires en 2021, soit 9,6 % du budget total du gouvernement. Notamment, elle est devenue en 2017 le premier pays d’Amérique latine à être partenaire global de l’OTAN (https://www.deleguescommerciaux.gc.ca/colombia-colombie/market-reports-etudes-de-marches/0007151.aspx?lang=fra&utm ).
La Colombie pourrait-être un partenaire clé pour Haïti, en offrant une combinaison unique de proximité géographique, d’expertise technique et d’intérêt mutuel. Ce partenariat pourrait non seulement renforcer la sécurité et la stabilité en Haïti, mais aussi ouvrir de nouvelles perspectives économiques et culturelles. Pour la Colombie, ce rapprochement s’inscrit dans une stratégie de leadership régional et de solidarité avec les pays des Caraïbes.
Une posture souverainiste affichée par Leslie Voltaire
Au-delà de cette coopération renforcée, Leslie Voltaire a adopté une posture souverainiste claire : « Les ennemis de nos amis ne sont pas nos ennemis. Les amis de nos amis ne sont pas nos amis. » Cette position révèle une volonté de diversifier les alliances d’Haïti et de recentrer les priorités sur les intérêts nationaux. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large visant à sortir de la dépendance exclusive envers les grandes puissances comme les États-Unis, tout en explorant de nouvelles opportunités avec des partenaires régionaux comme la Colombie.
Un lieu stratégique : La Guajira
La localisation de la réunion à La Guajira, peut-être, région très pauvre si ce n’est la plus pauvre, est hautement symbolique. Cette région, la plus proche d’Haïti sur le continent sud-américain, est connue pour son rôle dans le transit d’armes et de drogues. Le président Petro a déjà souligné la nécessité d’y renforcer les contrôles, une priorité partagée par Haïti. De plus, cette zone pourrait devenir un hub commercial stratégique pour les échanges entre les deux pays, grâce à sa proximité géographique.
Une déclaration conjointe ambitieuse
À l’issue de la réunion, les deux parties ont adopté une déclaration conjointe réaffirmant leur engagement mutuel. Les principaux points incluent :
- Consolidation de la paix : Le président Petro a réaffirmé son soutien à Haïti dans sa quête de stabilité, tandis que Leslie Voltaire a salué les efforts colombiens pour consolider la paix.
- Renforcement des institutions : Un accent particulier est mis sur l’amélioration de la gouvernance et de la capacité étatique en Haïti.
- Promotion économique : Les deux pays visent à intensifier leurs échanges commerciaux et à stimuler le tourisme, en exploitant les capacités de production de La Guajira.
- Coopération technique et culturelle : La Colombie partagera son expertise dans des domaines comme l’éducation et l’agriculture pour aider à moderniser ces secteurs en Haïti.