La crise énergétique en Haïti s’intensifie, avec des infrastructures vieillissantes, des dettes massives, et des coupures d’électricité paralysant les grandes villes. Alors que seulement 28 %(selon ayibopost) des foyers haïtiens ont accès à l’électricité, l’Électricité d’État d’Haïti (EDH) lutte pour maintenir son réseau, dépassé par l’insécurité et les dettes publiques.
Un secteur énergétique vétuste et sous-investi
La crise énergétique qui frappe Haïti aujourd’hui est le résultat de décennies de négligence et de sous-investissement dans le secteur de l’électricité. Depuis plus de 40 ans, aucun projet significatif n’a été initié pour moderniser le réseau électrique national. Ce manque d’investissement se traduit par des infrastructures vétustes, incapables de répondre aux besoins de la population. L’EDH estime qu’il lui faudrait 300 millions de dollars pour réhabiliter l’ensemble du réseau, une somme que l’État haïtien peine à allouer.
D’après un rapport de la Banque mondiale datant de 2014, seulement 28 % des ménages haïtiens sont connectés au réseau électrique, laissant une large majorité du pays dans le noir. Ce taux d’accès à l’électricité place Haïti au dernier rang en Amérique latine et dans les Caraïbes, bien loin de ses voisins comme la République dominicaine, où 90 % de la population bénéficie d’un accès régulier à l’électricité.
La libéralisation du secteur énergétique : opportunité ou impasse ?
Depuis 2017, Haïti a libéralisé son secteur énergétique, permettant ainsi à des entreprises privées de produire et distribuer de l’électricité. Toutefois, l’EDH reste la principale source de courant pour la majorité des foyers connectés, bien que son monopole soit théoriquement levé. En pratique, les opérateurs privés se concentrent sur certaines zones stratégiques, laissant l’EDH porter le poids d’un réseau défaillant et sous-financé.
Cette libéralisation a mené à la création de l’Autorité nationale de régulation du secteur énergétique, censée superviser et structurer le marché de l’électricité. Néanmoins, l’insuffisance des investissements publics et privés a empêché cette ouverture d’améliorer l’accès au courant pour les Haïtiens.
Une insécurité grandissante qui paralyse le réseau électrique
L’insécurité, accentuée par la prolifération des gangs, rend le travail de l’EDH encore plus difficile. Dans de nombreuses zones, les techniciens de l’EDH ne peuvent plus intervenir pour réparer les lignes électriques endommagées ou pour maintenir les équipements en état. Par exemple, des bandits interceptent régulièrement le courant dans certaines régions, détournant l’électricité pour leurs propres usages. Le 19 septembre dernier, l’ambassade américaine en Haïti a rapporté un incident où un chef de gang, Vitel’Homme Innocent, aurait détourné le courant alimentant leur quartier.
Ces attaques sur le réseau, combinées aux restrictions de déplacement pour les équipes de l’EDH, empêchent la fourniture régulière de courant dans des villes comme le Cap-Haïtien ou Jérémie, où l’obscurité persiste depuis des mois. En conséquence, des installations vitales, comme les hôpitaux et les écoles, se retrouvent sans électricité, accentuant la précarité des infrastructures sociales en Haïti.
La dette publique et la réticence face aux compteurs prépayés
Un autre obstacle majeur rencontré par l’EDH réside dans les dettes impayées par de nombreuses institutions publiques. Plusieurs ministères et agences gouvernementales refusent catégoriquement l’installation de compteurs prépayés, malgré leur efficacité démontrée pour améliorer le recouvrement des paiements. Selon le directeur de l’EDH, ces dettes cumulées fragilisent davantage les finances de l’institution, empêchant tout effort de modernisation du réseau.
En réponse à ces difficultés, l’EDH a récemment lancé un programme de compteurs prépayés, installés dans certains quartiers de Port-au-Prince comme Frères et Vivy Mitchel. Ce système pourrait représenter un tournant pour le secteur si les institutions publiques l’adoptaient également, permettant ainsi une meilleure gestion des paiements et une réduction des pertes.
Pertes techniques et commerciales : le défi d’un réseau fragile
Avec un réseau de distribution vétuste et des infrastructures fragilisées, l’EDH perd plus de 50 % de sa production lors de la transmission et de la distribution de l’électricité. Ces pertes, qu’elles soient techniques (causées par des équipements défectueux) ou commerciales (dû au non-paiement des consommateurs), minent les efforts de l’EDH pour atteindre une rentabilité minimale.
Le réseau électrique de Port-au-Prince, par exemple, nécessite une réhabilitation complète. Le directeur de l’EDH souligne qu’il faudrait des années et des centaines de millions de dollars pour moderniser ce réseau, afin de réduire les pertes et garantir un service stable à la population.
Les sources d’énergie renouvelable : un potentiel inexploité
Dans un pays où les ressources naturelles pourraient jouer un rôle crucial pour l’indépendance énergétique, l’EDH peine à exploiter les énergies renouvelables. Seule la centrale hydroélectrique de Péligre fonctionne actuellement sans génératrice, tandis que d’autres centrales hydroélectriques restent inactives en raison du manque de financement et d’entretien. L’investissement dans les énergies renouvelables représenterait une solution à long terme pour l’EDH, permettant de réduire la dépendance aux énergies fossiles et de garantir une meilleure autonomie énergétique pour le pays. Toutefois, sans un soutien gouvernemental substantiel, le potentiel des énergies renouvelables en Haïti demeure largement inexploité.
Un plan d’avenir : l’Horizon 2030
En avril 2022, l’EDH a lancé son plan Horizon 2030, visant à augmenter l’accès à l’électricité à travers des réformes structurelles et des investissements ciblés. Ce plan prévoit la modernisation des infrastructures et la mise en place de nouveaux projets de production pour répondre aux besoins de la population haïtienne.
Le plan Horizon 2030 repose cependant sur une base financière fragile. L’EDH demande 1 milliard de dollars sur cinq ans pour financer ses projets et augmenter sa capacité de production. Néanmoins, sans un engagement fort de l’État et une volonté politique soutenue, le plan Horizon 2030 risque de rester lettre morte, alors même que l’accès à l’électricité est essentiel pour le développement économique et social du pays.